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Livre numérique

L'expertise des publics deficients visuels

Luc Maumet

Quel impact aura la révolution numérique sur nos pratiques de lecture ? Comment lirons-nous dans cinq ans ? Paradoxalement, un petit groupe de lecteurs, jusqu’ici marginalisés, les personnes aveugles et malvoyantes, a des réponses à apporter à ces questions brûlantes.

L’élévation du niveau de vie en France a été accompagnée pour la population générale d’une explosion de l’offre documentaire. Malgré tout, les personnes déficientes visuelles doivent toujours faire face à une extraordinaire pénurie de documents. Nos collègues anglo-saxons parlent de « famine de livres  1 » pour qualifier cette situation scandaleuse où une personne aveugle ou malvoyante ne peut avoir accès qu’à une minuscule part des textes disponibles.

Pourtant, une révolution vient d’avoir lieu sous nos yeux : un nouveau cadre législatif permet enfin, en France, de recueillir pleinement les bénéfices du numérique dans le domaine de l’accès à l’écrit pour les publics empêchés de lire, comme on le détaillera plus bas. L’offre de documents explose, les modalités d’accès à l’écrit se diversifient.

Les publics déficients visuels, contraints de trouver des solutions innovantes par la pénurie de documents à laquelle ils doivent faire face, ont aujourd’hui massivement recours aux livres numériques. L’industrie de l’édition s’intéresse beaucoup à leur cas : en raison de leur histoire très particulière, les publics empêchés de lire ont acquis une expertise qui se révèle aujourd’hui très utile pour anticiper l’évolution des pratiques de lecture de la population en général.

Mille et une manières de lire des fichiers

L’émancipation des personnes déficientes visuelles est passée par l’accès à l’écrit. Depuis l’invention du braille en 1825, les progrès en termes d’insertion sociale ont été considérables. Mais le braille est loin d’avoir résolu l’ensemble des difficultés posées en la matière. Depuis son invention, d’autres techniques, et en particulier l’enregistrement sonore de documents, sont venues en complément de celle qui reste toutefois l’écriture par excellence des personnes aveugles et très malvoyantes.

L’arrivée des technologies liées au numérique a bouleversé radicalement le domaine de l’accès à l’écrit des publics déficients visuels. L’augmentation très sensible du nombre de documents disponibles s’accompagne de la mise au point de très nombreuses solutions pour lire quand on ne voit pas ou quand on voit mal. Elles se caractérisent toutes par l’utilisation comme source de fichiers informatiques.

Lire en écoutant du numérique

L’audio, le fait d’écouter l’enregistrement sonore d’un document, est le mode de lecture le plus communément pratiqué par les personnes déficientes visuelles. La voix humaine est stockée sous forme de fichiers. Le premier impact du numérique, avec aujourd’hui l’appui d’un contexte législatif favorisant ce travail, est la capacité de dupliquer l’information. Il y a encore dix ans, les livres audio destinés aux personnes déficientes visuelles étaient très majoritairement diffusés sur cassettes. L’arrivée des CD a changé la donne. Les possibilités de duplication infinies offertes autorisent une large diffusion des collections déjà existantes. Dans un contexte de pénurie documentaire, cet avantage est décisif.

Le téléchargement des mêmes livres audio est aussi en constante augmentation. Réservé à un groupe restreint de personnes très technophiles, il y a peu encore, son usage se généralise, en particulier parce que la normalisation des types de fichiers distribués permet une normalisation des interfaces que les utilisateurs déficients visuels doivent apprendre à connaître.

Le protocole Daisy Online  2 permet ainsi, par exemple, à des personnes utilisatrices de lecteurs de CD de type mange-disques, très simples d’utilisation, de bénéficier de la puissance du streaming pour accéder de façon instantanée à des contenus distants. Le déploiement d’une telle solution n’est possible que parce que les fichiers utilisés, en l’occurrence ceux du livre audio Daisy, ont été normalisés.

L’avantage du faible encombrement – une liseuse peut contenir des milliers de livres – qui est mis en avant pour les publics valides est aussi valable pour les publics déficients visuels, mais l’enjeu n’est pas du tout du même ordre. On ne pouvait pas porter dans ces bras dix livres de taille moyenne enregistrés sur cassettes, alors que leur équivalent en imprimé entre sans problème dans un petit sac. Cette réduction de l’encombrement, un progrès très récent, est un avantage majeur du numérique pour les personnes déficientes visuelles.

Le format Daisy : une norme pour tous les usages

En 1996, un groupe de bibliothèques pour aveugles, réunies au sein de l’Ifla  3, a créé la norme Daisy (Digital Accessible Information System).

Daisy a d’abord été conçu comme une norme pour la production de documents sonores structurés enregistrés sous forme de fichiers. L’intérêt de ce format n’est plus aujourd’hui à prouver. Dedicon  4, la bibliothèque des Pays-Bas, a prêté en 2010 plus de 1 million de livres au format Daisy  5. De même en Angleterre, le RNIB  6 a prêté cette même année plus de 2 millions de documents Daisy. On ne peut que constater le retard français en la matière. La structure qui prête le plus de livres Daisy en France aujourd’hui, la médiathèque de l’Association Valentin Haüy (AVH)  7, n’en a prêté en 2010 que 56 000. Cette situation française est toutefois en train de changer très rapidement et, surtout, elle ne saurait remettre en cause l’intérêt d’une norme qui fait mondialement la preuve de son efficacité.

Les livres Daisy audio sont des enregistrements de la voix humaine qui sont ensuite structurés. Avec un lecteur adapté, l’usager peut utiliser cette structure pour naviguer au sein du texte. Des documents à la structure riche sont ainsi exploitables, ce qui n’est pas le cas avec des enregistrements ordinaires. L’exemple type est celui des périodiques, pour lesquels la possibilité de naviguer au sein du texte est indispensable.

Mais l’avantage principal du format Daisy réside dans la normalisation de la production de livres audio, alors que la production commerciale est très loin de répondre aux besoins en matière de documents de ce type. Grâce à Daisy, les structures peuvent se rapprocher les unes des autres avec beaucoup plus de facilités dans la mesure où leurs productions respectives utilisent la même norme. La production de documents enregistrés en audio a sensiblement augmenté depuis l’introduction du format Daisy en France. Les capacités d’acquisition de la médiathèque de l’AVH ont, par exemple, doublé depuis l’adoption de cette norme, passant de 500 titres à l’année à plus de 1 000 titres en 2010.

Le format Daisy pour la structuration du texte

Après l’audio, le format Daisy a très vite été utilisé pour structurer du texte. Un texte numérique au format Daisy est un fichier XML structuré selon une grammaire normalisée. La norme Daisy pour la structuration du texte, XML-DTBook  8, permet, en particulier, une description très fine de la mise en forme des documents.

Le texte au format Daisy XML-DTBook sert de format pivot pour stocker des textes hautement structurés qui sont ensuite mis en forme en braille, en gros caractères, ou en voix de synthèse en fonction des besoins des usagers. De plus, une forme distribuable nommée communément « Daisy texte » peut être déclinée du XML-DTBook.

Des industriels de poids ont depuis rejoint le consortium Daisy et ont œuvré à la mise au point de solutions destinées à la diffusion des différentes formes de Daisy. Microsoft, par exemple, met gratuitement à la disposition des utilisateurs du logiciel de traitement de texte Word un plug-in qui permet de transformer les documents texte en livres « Daisy texte ». Ce logiciel nommé Save-as-daisy  9 permet, en outre, de faciliter la production de synthèse vocale.

L’usage du format Daisy texte est moins répandu que l’usage de Daisy pour la structuration de la voix humaine. Notons toutefois une très importante avancée aux États-Unis, où tous les éditeurs de livres scolaires ont l’obligation, depuis 2006, de mettre à la disposition des personnes empêchées de lire des versions au format NIMAS  10, une déclinaison du format XML-DTBook, des livres qu’ils produisent.

Le format Daisy et la voix de synthèse

De plus en plus de personnes déficientes visuelles utilisent des voix de synthèse pour leur lire du texte numérique.

Alors qu’avec les enregistrements en voix humaine, seule la forme de l’enregistrement est numérique – la source (la voix humaine) étant analogique –, avec la synthèse vocale, l’ensemble de la chaîne de traitement est numérique. On n’est plus face à de l’analogique stocké sur un support numérique, mais bien devant un document numérique dans tous ses aspects. On peut dès lors envisager des chaînes de traitement totalement automatisées pour la production de ce type d’enregistrements.

La grande majorité des usagers déficients visuels disent préférer la voix humaine à la voix de synthèse. Toutefois, le choix à effectuer n’est, le plus souvent, pas entre voix humaine et voix de synthèse mais bien entre voix de synthèse et rien. En effet, les capacités de production de documents audio en voix humaine ne sont pas extensibles : cette forme d’adaptation est très onéreuse. La voix de synthèse est, a contrario, très bon marché.

Parmi les personnes déficientes visuelles les plus jeunes, un certain nombre revendique aussi aujourd’hui l’intérêt de l’écoute de textes lus en synthèse vocale comme une modalité d’accès à l’écrit la plus proche possible de la lecture ordinaire. Ils revendiquent un accès direct au texte qui ne passe pas par la subjectivité d’un lecteur humain, ce qu’autorise la synthèse vocale. Ce point de vue est souvent celui de personnes qui utilisent l’informatique adaptée et ont donc déjà une certaine intimité avec la synthèse vocale.

Les lecteurs Daisy

La diffusion mondiale du format Daisy a créé un marché de taille suffisante pour que des industriels voient l’intérêt de produire des lecteurs spécifiquement adaptés aux besoins des utilisateurs concernés.

Ce sont, en premier lieu, des appareils destinés à la lecture de documents audio voix humaine par des personnes empêchées de lire. Mange-disques très simples d’utilisation pour écouter des CD, quand on est très peu technophile, ou lecteurs type « iphone », mais sans écran et entièrement vocalisés, ces appareils répondent aux besoins de catégories de publics très différentes. D’autres lecteurs Daisy, ceux-là munis d’écrans, répondent plus particulièrement aux besoins des personnes dyslexiques, aphasiques ou sourdes.

Arrêtons-nous un instant sur ce fait : des bibliothécaires, en l’occurrence un groupe de l’Ifla, ont été capables d’amener en quelques années des industriels à produire les outils de lecture numérique les mieux adaptés à des catégories très spécifiques d’usagers. On est là très loin d’un modèle où les bibliothécaires subissent l’arrivée des nouvelles technologies d’accès à l’écrit !

Plusieurs fabricants se partagent aujourd’hui le marché du lecteur de livres Daisy  11 et il existe un grand nombre de modèles différents. Ils offrent tous une totale accessibilité et répondent aux besoins de catégories de lecteurs différentes, que ce soit en raison des difficultés rencontrées ou en fonction des besoins et aptitudes des usagers.

Parmi les principaux acheteurs de ces appareils, on trouve à l’étranger les bibliothèques spécialisées. En Angleterre, par exemple, le RNIB a déjà passé trois appels d’offres pour se porter acquéreur au total de 60 000 lecteurs Daisy de table. En France, l’acquisition de ces solutions reste le plus souvent à la charge des usagers, même si, dans certaines conditions, ils peuvent prétendre à des aides financières.

Le braille a lui aussi vécu sa révolution numérique

Les textes braille sont aujourd’hui très majoritairement produits à l’aide d’imprimantes braille appelées « embosseuses ». Les usagers du braille papier – on pense qu’ils sont 7 000 en France  12 – utilisent donc quotidiennement le résultat de l’embossage de fichiers.

De plus, les solutions de braille éphémère permettent un accès direct au texte numérique. Ces dispositifs consistent en des séries de petites tiges en matière plastique susceptibles de monter ou de descendre pour écrire un texte en braille lisible tactilement. C’est une sorte d’équivalent mécanique et employant le code braille des écrans utilisés par les personnes qui voient clair.

Un nombre restreint d’usagers utilisent ces solutions. Cela nécessite en effet, outre la maîtrise du braille, une certaine aptitude à l’utilisation des nouvelles technologies. De plus, le prix de ces équipements reste très élevé. Elles apportent toutefois des services essentiels en matière d’éducation, et certaines personnes lisent régulièrement des livres à l’aide d’afficheurs en braille éphémère.

La capacité d’avoir recours à la même source que le reste de la population, le texte sous sa forme numérique, est un avantage déterminant pour les publics empêchés de lire. Il fallait toutefois un cadre législatif pour permettre d’exploiter pleinement cet avantage.

La loi Dadvsi

En 2006, la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information (Dadvsi) a institué, au bénéfice des personnes atteintes d’un handicap, une exception au droit des auteurs  13 de s’opposer à la reproduction et à la représentation de leurs œuvres. Cette exception, véritable reconnaissance du travail effectué jusqu’alors par un certain nombre de structures, en particulier associatives, permet aux institutions concernées de développer leur travail et d’améliorer la qualité de leurs services. La médiathèque de l’Association Valentin Haüy, par exemple, a vu multiplié par deux le nombre de documents prêtés  14 annuellement, passant d’une moyenne de 50 000 livres prêtés chaque année à plus de 100 000 entre 2009 et 2011.

La reproduction des œuvres sur des supports adaptés aux publics handicapés peut désormais être effectuée librement et sans contrepartie financière par des personnes morales ou des établissements (associations poursuivant un but non lucratif, bibliothèques…), à la condition que ces établissements soient habilités conjointement par le ministère chargé de la culture et le ministère chargé des personnes handicapées. La reproduction autorisée dans le cadre de l’exception ne peut cependant être effectuée qu’en vue d’une consultation strictement personnelle par les personnes atteintes d’un handicap.

Ce nouveau cadre est très favorable au développement de services d’accès à l’écrit pour les publics empêchés. Il autorise les bibliothèques spécialisées à se concentrer exclusivement sur les problèmes de la production de documents adaptés, de leur mise à disposition et de la nécessaire médiation culturelle. La période, pas si lointaine, où les éditeurs refusaient que plus de trois exemplaires d’un livre sonore soient mis en circulation, s’éloigne.

Platon

L’autorisation de travailler librement donnée aux structures agréées s’accompagne d’une obligation pour les éditeurs de faciliter ce travail. Ainsi, dans les deux ans qui suivent le dépôt légal d’un livre, les fichiers ayant servi à l’édition de l’œuvre peuvent être demandés par les organismes transcripteurs de documents dûment agréés. Un service spécifique de la Bibliothèque nationale de France, appelé Platon (Plateforme sécurisée de transfert des ouvrages numériques)  15, présente la demande aux éditeurs et organise la transmission des fichiers. Depuis sa mise en service, en un an, Platon a assuré la distribution de plus de 2 500 fichiers  16.

Depuis son entrée en vigueur, l’exception handicap a permis la production d’un nombre croissant de documents dans les structures adaptatrices. La médiathèque de l’AVH, qui proposait par le passé une moyenne de 100 nouveaux titres par an en braille, en proposera en 2011 plus de 1 000  17. L’augmentation des capacités de production est exponentielle. Les traitements peuvent être presque intégralement automatisés dans le cas où les éditeurs mettent à disposition du XML correctement structuré. Le format majoritairement transmis par les éditeurs est le PDF, qui représente 65 % des fichiers. Avec ce format, le travail d’adaptation des documents reste complexe. Les métadonnées qui structurent la plupart des documents en PDF ne sont pas automatiquement convertibles. La remise de ce type de fichiers constitue donc un progrès par rapport à l’époque où, pour créer un fichier, il convenait de scanner les pages des livres. Toutefois, le PDF, dans la forme que remettent les éditeurs, requiert toujours de lourdes interventions humaines pour produire un document accessible.

Le format le plus intéressant pour ce type d’usage est un format structuré dont la grammaire est connue. De ce point de vue, les fichiers XML ou Epub sont particulièrement pratiques. Le XML représente aujourd’hui 22 % des fichiers remis via Platon  18. Un livre fourni par Platon en format XML peut automatiquement être transformé en XML-DTBook, le Daisy texte. De ce format pivot, on peut, là aussi de façon automatisée, décliner des versions braille, audio voix de synthèse ou en caractères agrandis avec des critères de mise en forme spécifiques.

Pour l’heure, les fichiers dont disposent les éditeurs, ou plutôt les fichiers qu’ils acceptent de transmettre, ne sont majoritairement pas des fichiers aisément convertibles dans des formats accessibles. Toutefois, tout porte à penser que la nécessité pour les éditeurs de se confronter au marché du livre numérique va les amener à plus structurer leurs documents et à en normaliser la production. À l’avenir, les fichiers remis le seront, de plus en plus souvent, dans un format XML cohérent.

Faire basculer l’ensemble des chaînes de production de livres vers un format structuré est possible. La mise en place de l’exception handicap en France peut, de ce point de vue, être considérée comme une première étape vers une collaboration toujours plus harmonieuse entre les éditeurs « classiques » et le monde de l’édition adaptée. Si les éditeurs retirent des bénéfices immédiats d’une normalisation de leurs modes de production de fichiers, nous ne doutons pas qu’ils tendront vers la mise à disposition de toujours plus de fichiers intéressants.

Une victoire prévisible et de nouvelles batailles en vue

Une première victoire face à la « famine de livres » est prévisible. Dans les trois ans à venir, l’augmentation très rapide des capacités de production des structures adaptatrices de documents va sortir les personnes déficientes visuelles, et avec elles toutes les personnes empêchées de lire, de l’extrême pénurie documentaire dans laquelle elles se trouvent aujourd’hui.

Nous sommes en passe d’avoir accès à un nombre considérable de fichiers embossables en braille. Nous atteignons, enfin, l’objectif que s’étaient fixé nos prédécesseurs. Il faut faire ce constat et marquer cette étape d’une pierre blanche. En 2012, la médiathèque de l’AVH mettra à la disposition de ses usagers plusieurs milliers de nouveaux titres différents en braille. Depuis plus d’un siècle, la moyenne annuelle de production était de 100 titres seulement.

Mais nous évoquons ici les documents dont la structure est relativement simple, ne comportant qu’un paratexte simple, éventuellement des notes de bas de page. Restent tous les documents dont la structure est sensiblement plus complexe. Pour les livres mêlant étroitement textes et images, par exemple, une description des images effectuée par un transcripteur professionnel sera indispensable. Dès que l’on s’éloigne des fictions ou documentaires constitués de textes simplement structurés, une intervention humaine est souvent nécessaire pour donner de la cohérence au document adapté.

De plus, les nouvelles solutions d’accès à l’écrit pour la population générale, avec le passage du papier vers des formats numériques, vont certainement impliquer aussi un changement de la forme des documents. Les premiers exemples de livres numériques très illustrés incluant de la vidéo et du son commencent à se diffuser. On voit aussi des documents beaucoup plus interactifs mis sur le marché  19 : ils offrent à l’usager, outre des possibilités de navigation au sein du texte et de contenus multimédias, la possibilité d’interagir dans le document avec des jeux, des contenus à la demande…

Doit-on encore parler de « livres », ou le nom va-t-il changer ? Peu importe : si les documents qui contiennent du texte deviennent des objets hybrides incluant d’autres formes (vidéo, son, structures hypertextes très riches), d’autres défis se présenteront en matière d’accessibilité. On sait aujourd’hui, par exemple, adapter les atlas papier pour en faire des documents accessibles aux personnes déficientes visuelles. Mais quelles adaptations devrons-nous mettre en œuvre pour rendre accessibles les solutions de cartographie dynamique comme Google Maps  20 ou Géoportail  21 ? L’informatisation générale de la société est une opportunité, mais c’est aussi en matière d’accessibilité l’apparition de nouvelles difficultés.

Daisy 4 et Epub 3 : vers une accessibilité universelle ?

Nous l’avons vu, un certain nombre d’éditeurs produisent aujourd’hui des documents dans des formes du XML qui peuvent aisément être rendues accessibles. L’étape suivante consiste à obtenir de ces éditeurs qu’ils produisent leurs livres directement dans des formats accessibles. Le format de livre électronique Epub répond, de ce point de vue, à beaucoup d’attentes des publics empêchés de lire.

Ce format est en effet interprétable par la plupart des systèmes de lecture ordinaires : les ordinateurs bien sûr, mais aussi des liseuses comme le FnacBook, les solutions de Booken, le Nook de Barnes and Noble, le Sony Reader, les solutions sous Androïd ainsi que l’iPad d’Apple. De même, un grand nombre de smartphones sont capables d’interpréter l’Epub, comme les smartphones sous Androïd, l’iPhone d’Apple, certains smartphones Nokia et les téléphones avec système d’exploitation Windows Mobile. De ce fait, l’Epub est aujourd’hui très répandu pour la commercialisation de livres numériques. À l’exception notable d’Amazon, les plus grands acteurs du domaine ont choisi ce format.

Le format DTBook qui sert à la structuration des fichiers Epub comme des fichiers Daisy a été créé et est maintenu par le consortium Daisy  22. Il existe un grand nombre de « grammaires » XML  23, mais peu d’entre elles sont conçues pour exprimer aisément des informations liées à la structure des documents avec la puissance descriptive de Daisy. En outre, la norme Daisy est utilisée depuis plus de quinze ans par une communauté active : le nombre d’usagers du format se compte en centaines de milliers dans le monde, le nombre de documents prêtés se compte en dizaines de millions.

L’IDPF (International Digital Publishing Forum)  24 regroupe les principaux acteurs de l’édition numérique, en particulier américains. Ce sont des éditeurs au sens classique du terme, mais aussi des fabricants de matériel informatique et de logiciels comme Apple, Adobe, Sony, Nokia, Amazon. Le but principal de l’IDPF est la maintenance du standard Epub, aujourd’hui dans sa version 2.

Quand l’IDPF a lancé les travaux pour passer à la version 3 du format Epub, le consortium Daisy a proposé de prendre la tête de ces travaux et de fournir ses compétences techniques, ce qui a été accepté par l’IDPF. Parallèlement, le consortium travaille à la mise au point de la prochaine version du format : Daisy 4 (AI). Cette dernière est prévue pour converger pleinement avec le format Epub 3. Ainsi, selon les vœux du consortium Daisy, le format Daisy est en train de sortir de son rôle de solution spécifique pour les publics empêchés et de se mettre au service du grand public.

Cela signifiera tout d’abord une extraordinaire augmentation du nombre de documents accessibles. De plus, ces derniers pourront être consultés, simplement, en audio voix de synthèse en braille ou en très gros caractères. Cela veut aussi dire que des documents très fortement structurés et à faible durée de vie seront enfin accessibles. L’exemple type de ce genre de documents est constitué par les guides de voyages.

L’utilisation des livres électroniques vendus dans le commerce général par des usagers ayant recours à des interfaces spécifiques n’est cependant possible que si ces documents sont vendus sans DRM.

Bibliothécaires contre les DRM !

Les DRM  27 sont des verrous logiciels destinés, a priori, à protéger les droits d’auteur. Dans les faits, ils imposent des limites très strictes aux usages que l’on peut envisager de faire d’un document électronique.

Les DRM tels qu’employés aujourd’hui rendent l’usage des livres numériques qui en comportent très difficile pour les publics empêchés de lire. Ces difficultés sont aussi rencontrées dans d’autres situations, par exemple celles où une personne ne peut pas faire un usage, pourtant légitime  28, d’un document électronique, en raison de la présence de DRM. Les personnes déficientes visuelles rencontrent les mêmes difficultés, mais dans des proportions beaucoup plus importantes. En effet, les personnes aveugles et malvoyantes ont déjà des problèmes d’accès à l’information qui rendent toute difficulté supplémentaire rédhibitoire. De plus, elles utilisent des interfaces spécifiques (les lecteurs Daisy, les afficheurs braille…) qui sont des produits de niche susceptibles, confrontés aux DRM, de générer une foule de dysfonctionnements.

Il est essentiel d’affirmer aujourd’hui que les limitations d’usage constituées par les DRM, étant donné les conséquences qu’elles ont sur l’usage que peuvent faire les publics empêchés du texte numérique, ne sont pas acceptables. Ce point de vue rejoint celui de bibliothécaires  29, libraires et éditeurs  30 qui, de plus en plus nombreux, plaident et agissent pour une édition électronique libérée de la menace, absurde, des DRM.

Il serait navrant que la chance extraordinaire constituée par la possibilité de lire les mêmes documents électroniques que la population générale soit gâchée par les verrous électroniques apposés sur les livres.

Quels moyens ?

Nous assistons à des changements historiques dans le champ de l’accès à l’écrit des publics déficients visuels et des personnes empêchées de lire en général. Le slogan du consortium Daisy qui, il y a peu encore, semblait relever de l’utopie, devient réalisable : « Nous voulons avoir accès à tout ce qui est édité, au même moment et au même prix que le reste de la population. » Des moyens considérables vont encore être nécessaires pour parvenir à réaliser ce qui, pour nos prédécesseurs, n’était qu’un rêve inavouable. Mais les personnes déficientes visuelles ont déjà montré qu’elles pouvaient faire évoluer la loi et le contexte technique en leur faveur : nous ne doutons pas que les défis qui se présentent à nous, en particulier financiers, seront relevés. •

Juillet 2011