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Production des données, « production de la société »

Appel à articles
Avant le 18 septembre 2017
Revue Les Enjeux de l’information et de la communication

Le dossier 2018 des Enjeux de l’information et de la communication pour lequel cet appel à articles est proposé, est consacré au couple « Big Data et algorithmes », termes récemment devenus prégnants dans les discours sur « la révolution numérique ». Portés tant par des journalistes, des essayistes, des acteurs politiques ou économiques que des représentants de la société civile, ces discours, tantôt apologétiques, tantôt apocalyptiques, opposent souvent promesses d’un renouveau économique aux risques majeurs pour la démocratie et la sécurité nationale, les libertés individuelles, voire l’avenir de l’espèce humaine que feraient courir la captation et l’exploitation algorithmiques de volumes massifs de données.

Concomitamment à cette mobilisation « triviale », le sujet s’est, sur le plan scientifique, échappé des cénacles des spécialistes en informatique pour s’imposer comme thématique des sciences humaines et sociales.

Au-delà des considérations méthodologiques relatives à une nouvelle heuristique fondée sur l’obtention et le traitement d’une quantité inédite de données (Anderson, 2008 ; Aiden, Michel, 2014) et que nous laisserons ici de côté, ce qui a motivé l’intérêt des chercheurs en SHS se rapporte aux mutations sociales imputables à ces nouveaux dispositifs « Big Data et traitement algorithmique ». En effet, ceux-ci seraient en passe d’investir de multiples sphères professionnelles et domestiques et configureraient un nombre croissant d’activités tant publiques que privées. Illustrant le phénomène, le néologisme « data-ification » s’impose progressivement dans les entreprises et les administrations afin de désigner « le nouvel âge » des systèmes d’information au sein de ces organisations (Delort, 2015). Cet essor de la production et du traitement des données est particulièrement visible au niveau des services de marketing ou des ressources humaines notamment (Ibid.), mais également dans le cadre des « stratégies de production de l’information publique » (Bardou Boisnier et Pailliart, 2012) et du « gouvernement par les nombres », selon l’expression d’A. Desrosières (2008), conduits par l’État et ses administrations. En cela, le couple « Big Data et algorithmes » apparaît symptomatique de l’accentuation rapide et significative de « l’informationnalisation » de la société, c’est-à-dire de la circulation croissante et accélérée des flux d’informations, ainsi que leur contribution accrue à l’ensemble des dimensions de la vie sociale (Miège, 2004). La dynamique est déjà ancienne et fut initialement abordée par le prisme exclusif du rapport de l’information à la production : elle apparaît, par exemple, comme à la fois la cause et la conséquence de l’émergence de la « société de l’information » comme projet industriel et projet de société à partir des années 1970-1980 (Mattelart, 2001). Cependant, depuis 2001, on assiste à une explosion sans précédent du volume de données médiatisées, explosion qui serait donc à même de provoquer des mutations majeures, en cours ou à venir, à laquelle l’ensemble des acteurs sociaux doivent se préparer, afin d’en tirer le meilleur parti ou d’organiser la résistance à ce qui pourrait être un « panoptique »au niveau mondial (Kitchin, 2014).

Malgré l’ampleur récente des discours profanes et experts oscillant entre promesses exubérantes et anathèmes radicaux et malgré l’intérêt nouveau des chercheurs en SHS pour la thématique des Big data et algorithmes, la production même de ces données massives et des instruments de traitement algorithmique reste encore peu appréhendée comme objet de recherche par les sciences humaines et sociales. C’est donc sur cet aspect que le dossier 2018 des Enjeux de l’information et de la communication souhaite se centrer. Plus précisément, celui-ci vise à une meilleure connaissance du procès de production des Big Data et algorithmes en tant que fondement de dispositifs décisionnels de « production de la société ». La référence à l’ouvrage d’A. Touraine (1973) n’est pas fortuite : bien que la démarche ne se veuille pas (nécessairement) sociologique, il s’agit bel et bien d’envisager ces dispositifs comme des « instruments de production de la société par elle-même », « instruments » foncièrement « historicisés », c’est-à-dire à la fois reflets d’une époque et moteurs de l’évolution sociétale à cette période (Ibid.). Nous faisons donc, en filigrane, l’hypothèse que la compréhension des effets sociaux (lato sensu) de ces dispositifs passe immanquablement par la compréhension de la manière dont ces données sont construites, traitées et utilisées. Dans cette perspective, l’analyse du procès concret de production des dispositifs constitue une étape indispensable à la connaissance du type de société qu’ils seraient à même de produire. Or, cette analyse passe par l’étude des instruments et techniques mobilisés, par celle des activités des intervenants qui les conçoivent et les mettent en œuvre, par la prise en compte des discours qui orientent et accompagnent leur ancrage social, ainsi que par l’éclairage des conditions institutionnelles dans lesquelles il se réalise. C’est précisément à cet ensemble de domaines que se rattacheront les travaux attendus dans le cadre de ce dossier.

Axes thématiques

Ainsi, les contributions pourront-elles s’inscrire au sein de l’un des axes suivants :

Axe 1. Les stratégies industrielles et marchandes

Ce premier axe se rapporte à l’étude des stratégies des acteurs tant industriels que publics, aux logiques de production des données et algorithmes de traitement, ainsi qu’à l’étude de la construction des marchés au sein desquels ils sont valorisés. Il s’agit donc d’identifier les positionnements de ces acteurs et d’envisager les rapports qu’ils entretiennent. Il s’agit, en outre, d’aborder données massives et algorithmes comme à la fois des facteurs de production (à l’origine de la désormais fameuse « Data-Driven Economy ») au sein de filières dont le fonctionnement reste à éclairer et des ressources valorisables per se sur des marchés que l’analyse cherchera à caractériser.

Enfin, on pourra ici s’intéresser aux discours portés par ces acteurs et, plus particulièrement, aux discours proposés notamment par les cabinets d’audit ainsi que les agences étatiques et qui contribuent fortement à inscrire ce couple Big Data et algorithmes dans des « économies de la promesse ».

Axe 2. La production des data : dispositifs et pratiques

Le deuxième axe concerne l’analyse de procès de production lui-même. Il s’agit ainsi d’ouvrir la « boîte noire », la focale se faisant plus resserrée. Les données sont souvent considérées comme « brutes », comme si elles étaient uniquement le point de départ de traitements algorithmiques, alors qu’elles sont « toujours déjà » le résultat de traitements élaborés, qu’elles portent sur des gisements informationnels ou documentaires volumineux préalablement construits (archives institutionnelles ou patrimoniales, bibliothèques numériques par exemple). Les questions centrales ici peuvent donc être résumées comme suit : D’où viennent ces données ? Comment produit-on des informations à partir d’elles ? Quels sont les actions et agents impliqués dans cette production ? Selon quelles modalités organisationnelles coopèrent-ils ?

C’est donc le process lui-même qui est ici au cœur de l’investigation : il s’agit d’appréhender à la fois empiriquement et théoriquement les différentes phases qui le composent, de l’obtention des data comme inputs à la production spécifique d’outputs, résultat, généralement automatisé, du traitement algorithmique. En outre, la transformation qui y est opérée peut être abordée sous l’angle de ce qui se perd, ou au contraire ce qui est ajouté, en termes informationnels, par le process même.

Au final, il s’agit donc de se centrer à la fois sur des dispositifs comme ensemble d’instruments et de techniques ainsi que sur des pratiques, fondées sur des savoirs et savoir-faire. Seront interrogées ici les formes de (re-)contextualisation des data, les modalités de leur interprétation, la place des langages et celle des représentations visuelles, etc. En outre, l’affirmation progressive d’un « Internet des objets » conduit à interroger l’action propre des multiples capteurs appelés à être les plus importants pourvoyeurs de données dans les années qui viennent. Enfin, et de manière plus générale, l’automatisation des dispositifs pourra ici être envisagée comme objet de recherche.

Axe 3. L’intégration des Big Data et algorithmes au sein des secteurs professionnels et des champs sociaux

Le troisième axe vise à rassembler des analyses sectorielles. Il s’agit de s’intéresser ici aux modalités d’intégration des dispositifs au sein de secteurs professionnels et de mondes sociaux : assiste-t-on à une reconfiguration des activités qui se déploient en leur sein ou, plus modestement, à des mutations partielles de celles-ci ? Comment de grands ensembles d’activités comme la culture, le marketing, la santé, le journalisme ou l’éducation sont-ils affectés de façon spécifique et/ou de façon commune, comparable ?

Il s’agit également de porter ici une attention plus soutenue aux professionnels qui participent à cette production. Les récentes fonctions aux dénominations anglophones qui se multiplient au sein des organisations telles que « Data Scientist », « Data Analyst », « Chief Data Officer » ou « Data Protection Officer », manifestent l’intérêt croissant des entreprises et des administrations pour l’obtention, l’agrégation et l’analyse de données massives préalablement à la conception et la mise en œuvre de leurs stratégies. Ces fonctions ainsi que leur intégration organisationnelle pourront faire l’objet d’études spécifiques

Enfin, un troisième type de propositions concernera les processus d’internationalisation de la production et de l’exploitation des Big Data et s’intéressera plus spécifiquement aux enjeux liés à la diversité territoriale et culturelle des données ainsi qu’aux questions liées à la multiculturalité dans leur traitement.

Axe 4. Les processus de régulation : gouvernance, lois et réglementations, normalisation technique et organisationnelle

Le quatrième et dernier axe portera sur les questions de régulation du procès de production Big Data / algorithme(s) de traitement. Par régulation, nous entendons aussi bien les règles s’imposant « verticalement » aux acteurs sociaux que celles produites par ceux-ci, généralement dans une visée d’optimisation de la coordination des activités. Ainsi, le regard pourra-t-il se porter tant sur les lois et règlements produits par l’Etat et ses administrations que sur normes ad hoc configurant dispositifs et pratiques professionnelles. Il s’agira notamment de rendre compte de la plasticité des règles produites ainsi que des asymétries en termes d’agentivité entre producteurs de data et producteurs d’informations à partir de ces data, entre les acteurs maîtrisant cette production d’information et leurs concurrents ne la maîtrisant pas, asymétries que ces règles sont susceptibles de renforcer ou de réduire.

Ensuite, les études pourront également concerner ici le travail spécifique des « régulateurs ». Il s’agit de rendre compte de leur hétérogénéité, ceux-ci pouvant être incarnés par le législateur étatique, des agences gouvernementales ou des autorités administratives indépendantes, tout autant que par des groupements interprofessionnels, des consortia ad hoc ainsi qu’un ensemble d’ONG œuvrant aux noms des citoyens. Il s’agit de surcroit de porter le regard sur les processus de production des normes et les jeux argumentatifs, sur les instances de délibérations ainsi que sur les discours qui y sont énoncés, considérant que ces discours sont porteurs de visions du monde à partir desquelles ces normes se construisent et qui les justifient, les légitiment aux yeux des acteurs sociaux.

Enfin, ce dernier axe concerne également les travaux s’intéressant à l’inscription de la thématique des Big Data et algorithmes dans les politiques publiques. Au-delà des questions portant sur l’encadrement légal stricto sensu, il s’agit d’apprécier comment l’Etat investit ce domaine, dans le cadre des mesures concernant l’Open Data évidemment, mais aussi au travers de ses actions favorisant le développement des activités liées à la captation et au traitement des données massives : dans le domaine de la formation, dans celui de la standardisation technique, etc.

/ Image : Graph of Digital Humanities Twitter.
/ Crédit photographique : © Martin Grandjean via WikiCommons
/ Source de l’information : © Les Enjeux de l’Information et de la Communication

Informations pratiques

/ Modalités de soumission
Les propositions (4000 signes espaces non compris) indiquant problématique et méthodologie sont à adresser à Vincent Bullich et Viviane Clavier pour le 18 septembre 2017.
contacts : vincent.bullich(a)univ-grenoble-alpes.fr et viviane.clavier(a)univ-grenoble-alpes.fr

Après sélection par le comité de lecture (réponse le 16 octobre 2017), les premières versions complètes des textes (de 25 000 signes espaces non compris et rédigés selon les normes éditoriales des articles de la revue sont à remettre pour le 01 mars 2018, elles seront soumises alors à une évaluation en double aveugle.

A la suite de cette phase, la version définitive du texte (prenant en compte les éventuelles remarques et retours des évaluateurs), incluant les corrections mineures ou majeures demandées, sera soumise au comité éditorial de la revue qui est souverain pour l’accord définitif de publication en juin 2018.

Pour en savoir plus

/ Consulter le site de la Revue Les Enjeux de l’Information et de la Communication